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journal d'un lecteur compulsif, romans, essais, B.D., inédits

Les trois Adolf de Tezuka

Les trois Adolf de Tezuka
 
 



Les trois Adolf, la bande dessinée fleuve de Tezuka (1928-1989), considéré comme l'inventeur du manga moderne, vient d'être republiè en deux gros volumes reliés par les Delcourt/Tonkam. Ce roman graphique vous présente le nazisme comme vous l'avez jamais vu. C'est Hitler vu du Japon d'après guerre; le livre parait au Japon en 1985. C'est un peu "Le guerre et paix de la bande-dessinée au total environ 1200 pages (sans compter les annexes). Certes deux fois moins par exemple que du même Tezuka les 8 volumes de Bouddha. Mais cette dernière série travaille dans le registre du mythe alors que les trois Adolf sont dans celui du mélodrame (au sens noble du terme) et de la fresque historique. Tout comme pour "Guerre et paix" et nombre de grands romans russes, je conseille au lecteur de faire dès le début de sa lecture la liste des personnages qui sont pléthore.Le récit commence en 1936 pendant les jeux Olympiques de Berlin et se termine en 1983 en Israël.

 
 

Le personnage principal est le japonais Soheï Togué que l'on peut considérer comme la représentation de Tezuka lui même... Envoyé comme journaliste sportif à Berlin, il n’y retrouve son frère cadet que pour assister impuissant à son assassinat à cause d’un document prouvant que la généalogie d’Hitler a des origines juives. Tout le livre tourne autour de l'idée qu'Hitler aurait eu partiellement des origines juives, thèse longtemps défendue par quelques historien dont on est à peu près sûr aujourd'hui qu'elle est fausse.
Soheï Togué soupçonné et torturé, va réussir à s’emparer des documents, et pendant 1000 pages, va être poursuivi jusqu’au Japon en entraînant tout son entourage (direct ou indirect) dans d’incroyables et dramatiques rebondissements.


 
 

De multiples personnages vont se croiser, s’oublier, se revoir, le tout entre deux continents, entre deux pays alliés, le Japon et l'Allemagne. Tezuka va en suivre plus particulièrement deux.
Tous deux prénommés Adolf, on les suivra de l’enfance à l’âge adulte. L’un Adolf Kaufmann est mi japonais par sa mère et mi allemand par son père. L’autre, Adolf Kamil, est juif allemand dont la famille a émigré au Japon.
Ce livre m'a appris, et très certainement à la plupart de ses lecteur l'attitude extrêmement ambigue et complexe du Japon d'alors face à la question juive.
Avant la guerre une petite communauté juive résidait au Japon. Mais dés 1939 elle s'est trouvé augmenté de plusieurs milliers de réfugiés venu principalement de Lituanie où le consul du Japon dans ce pays, Chiune Sugihara (1900-1986)  a signé à tour de bras pendant quelques semaines, à des juifs des visas pour le Japon sauvant ainsi plus de 6000 juifs. Chiune Sugiha sera élevé au titre de "juste parmi les Nations".

 
 

Cette histoire nous est racontée dans un des chapitres des annexes de 40 pages dans chaque volume.   
Les deux adolf deviendront dans un premier temps des amis mais bientôt eux aussi seront confrontés ou chercheront les documents de Soheï Togué; et d’amis, ils deviendront ennemis, dans un affrontement qui culminera pendant la guerre israélo-arabe de 73.



 
 
Tezuka fait osciller constamment son histoire entre Japon et Allemagne avec une dextérité incroyable. Dés le départ il nous plonge dans son récit en nous faisant progressivement, mais rapidement, plonger dans les années 30. Lorsqu'on lit "Les trois Adolf", il faut bien avoir en tête que ce manga, comme la quasi totalité de ses semblables, a été pré publié en magazine, ce qui explique les cliffhangers en fin de chapitre qui sont un atout lors de la parution en magazine mais occasionnent quelques lourdeurs en volume, mais cette construction est semblable à celle de nos romans populaires de la fin du XIX ème siècle qui paraissaient en feuilleton dans les quotidiens. 

 

L’histoire commence par Togué devant la tombe d’Adolf Kamil en 1983, qui nous explique qu’il peut parler maintenant. Puis c’est Berlin 1936, suivent une autre scène et encore un flash-back sur le Japon quelques mois auparavant. Tout le récit est ensuite construit comme une longue remontée avec des paliers plus ou moins longs suivant les personnages suivis, jusqu’à la (ré)émergence progressive en 1983, pour fermer la boucle. Il y a de nombreuse ellipse entre le milieu des année trente et 1983. Mais Tezuka prend le soin de faire de nombreuses allusions au passé pour permettre au lecteur de combler les trous du récit. Pour d'autres blancs la liberté lui est laissé pour envisager le parcours de certains protagonistes de l'histoire. 


 
 
Tezuka tisse son récit avec trois fils : le premier (Adolf Hitler) est la trame historique, le décor, et les deux autres (Adolf Kamil et Adolf Kaufmann) sont le bien et le mal. Le jeune Adolf Kaufman est envoyé par son père en Allemagne pour intégrer les jeunesses hitlérienne. On voit comment petit à petit un garçon qui au départ était rétif à cet embrigadement devient un si fervent nazi qu'il est appelé par Adolf Hitler pour devenir un de ses hommes de confiance. C'est le personnage le plus intéressant du roman et décrit bien l'évolution de bien des allemand d'alors et fait comprendre combien un grand nombre se sont alors rendu complice de l'horreur. Il doit être bien compris qu'aucun peuple n'est à l'abri d'un tel engrenage c'est ce qui est suggéré à la fin de l'histoire.

 
le garçon sur la photo pourrait être Adolf Kaufmann



 
 
 
 
 Dans sa grande finesse l’auteur montre à la fin, que ces limites ne sont pas évidentes, ou du moins floues et inconstantes sur certains points.
Tezuka a l'audace, ce que n'aurait certainement pas osé un auteur occidental de faire les parallèle entre les massacres perpétués contre les juifs en Israel par les arabes en 1948 avec ceux commis par les Israéliens dans les camps des réfugiés palestiniens et avec ceux des nazis contre les juifs d'Europe et cela néanmoins sans banaliser la Shoah. Si Tezuka est impitoyable envers les exactions du nazisme, il n'est pas tendre non plus pour le régime militariste du Japon d'alors et il met bien en évidence la cruauté et l'arbitraire de la police politique du pays.
Alors que le mangaka fait preuve d'une grande rigueur historique, il peut soudain faire preuve d'une étonnante liberté vis à vis de l'Histoire. Ainsi Tezuka ne montre pas Hitler se suicidant mais tué par l’abominable Docteur Lump, ce personnage noir et maléfique, que l’on retrouve dans la majorité de ses bandes dessinées. En quelques sorte, il tue le mal par le mal, c’est-à-dire par son emblème personnel du mal.
 
 
 
 
Le style de Tezuka est un style "semi-réaliste" de type Ligne Claire. S'il est plus réaliste de celui de ses début cela ne l'empêche pas néanmoins d'y mêler pour autant des touches humoristiques. Ce mélange de sérieux et de touches humoristiques extrêmes est l'une des caractéristiques propres au Manga qui peut désarçonner le lecteur occidental. La narration (mise en page) est très dynamique; Tezuka ayant toujours pensé ses BD comme du dessin animé. La violence, dans toute sa dimension et son horreur , y est d'une présence extrêmement pesante, rendant la lecture parfois très douloureuse à l'instar de "Maus" de Spiegelman ou de Gen" de Nakazawa.
 Le dessin parfois très caricatural pourra paraitre en complet hiatus avec le scénario pour ceux qui ne sont pas habitué à l'exagération stylistique des manga et en particulier de celle de Tezuka; Car si le récit est mélodramatique à l'image des "Misérables" de Victor Hugo, est réaliste, il fait intervenir des personnages historiques, et pas seulement Adolf Hitler, on y croise aussi entre autres le célèbre espion Sorge.
 
 
 
 
Il est très difficile de lâcher ce roman graphique avant la dernière page et ce n'est pas un moindre paradoxe, puisqu’il fait courir ses personnages après des documents qui sont censés changer la face du monde, et dont on sait pertinemment qu’ils ne changeront pas le cours de l’Histoire, puisque l’on sait comment elle se termine.
Chacun des deux gros volumes reliés contient en appendice une quarantaine de page appelé un peu pompeusement exégèse. Celles-ci peuvent paraitre parfois pour un lecteur féru d'Histoire un peu la seconde guerre mondiale pour les nuls mais pour le lecteur non japonais, certains chapitre en leur en apprendront beaucoup sur l'Histoire du Japon qui pendant la guerre est détaillée mois par mois. C'est d'autant plus intéressant qu'il ne s'agit pas que d'une chronologie de faits militaires mais surtout des changements que la guerre et ses restrictions ont entrainé pour les civil japonais. Une partie du livre documente, en arrière plan les conditions de vie des civils japonais.
Les trois Adolf sont un classique de la bande dessinée qui honore toutes les bibliothèque par sa passionnante leçon d'Histoire et son message humaniste.
Il faut tout de même prévenir que les deux gros pavés des éditions Delcourt/Tonkam ont un prix soit 30 € chaque tome. Si l'édition est soignée Delcourt ne se hausse pas tout à fait à la qualité en tant qu'objet des éditions Cornélius qui éditent les plus beaux albums de manga de grands auteur comme Mizuki par exemple. 
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